Dans la mêlée de notre conversation au sujet de la pénurie de pièces automobile qui sévit sur le marché depuis 2021, Charles Aubry, Patrick Piché et moi-même avons aussi discuté de l’estimation automobile et à quel point elle est précieuse.

Je profite de cet article afin de consacrer plus de temps à mon entretien avec Patrick Piché d’Akzonobel.

Rappelons-nous d’abord de l’intervention de Patrick dans l’article : Pénurie de pièces — trois pros de l’industrie de la carrosserie offrent des pistes afin relever le défi.

Joe ne prend pas le temps de faire une bonne estimation

Voici le cas classique d’une estimation. Nous sommes en janvier et une cliente se présente à l’atelier. Son assureur lui a demandé de faire estimer les dommages à sa voiture. Joe, le gestionnaire de plancher, sort calepin et crayon en main (ou mieux, avec sa tablette qui le fait se sentir infaillible). Il fait moins vingt degrés et Joe grelotte pendant qu’il prend quelques notes et photos. Il parle à peine à la cliente et touche peu ou pas à la voiture qui a subi un choc frontal qui semble relativement léger. La dame retourne à la maison. Plus tard, le gestionnaire de plancher complète l’estimation dans son logiciel et attend une réponse de l’assureur pour commander des pièces. Si vous êtes étonnés, sachez que ce scénario est courant.

Joe n’a pas de stratégie d’estimation. Joe n’a pas de stratégie de vente et sa stratégie de production est discutable. Dans cette situation, en tant que commerçant, Joe rate plusieurs occasions de mettre de l’argent dans ses poches.

Patrick Piché : « On perd l’occasion de possiblement réparer la voiture dans des conditions performantes. En s’assurant d’abord d’avoir un processus d’estimation de dommages et ensuite de démanteler le parechoc du véhicule, on se donne la chance de faire une réparation sans suppléments et donc sans interruption de production. Dans le feu de l’action, les “clip” et les “fasteners” ont tendance à être les vedettes oubliées de l’estimation. En période de pénurie de pièces, on se “magasine” des maux de tête supplémentaires en courant partout à la recherche d’une pièce et de solutions d’appoint afin de satisfaire les clients et les partenaires, notamment en lien avec la gestion de location de véhicules de courtoisie. »

Charles Aubry : « On rate l’occasion de faire des ventes. En prenant du temps avec les clients, on peut faire une estimation plus complète qui prend en considération les procédures des fabricants automobiles. Il y a parfois de belles heures à aller chercher là ; vendre un “blend” supplémentaire si l’assureur ne le couvre pas, ou vendre la réparation d’un dommage antérieur. En investissant dans la relation avec les clients, on s’assure un meilleur niveau de conversion de l’estimation à la vente. C’est le moment de développer une relation de confiance avec eux et de leur démontrer notre niveau de service. Pour ajouter un commentaire sur la mise en situation décrite plus tôt, c’est bien beau de vouloir documenter son estimation avec des vidéos et des photos, encore faut-il prendre des photos sensées qui servent la réparation. Il faut donc faire attention, on est loin d’être invincibles avec notre tablette intelligente, même si on a une bonne application. »

Selon moi, en plus de ce que mes collègues expriment plus haut, on rate l’occasion de poser quelques questions intéressantes sur l’historique de l’accident et du véhicule. L’histoire de l’accident pourrait nous aiguiller sur la gravité de l’impact, au-delà des dommages visibles à l’œil nu. De nos jours, plusieurs matériaux peuvent reprendre leur forme après un impact et tromper l’œil. Connaître l’historique du véhicule permet aussi de connaître son utilité ou encore sa valeur sentimentale et donc de mieux se positionner pour vendre des extras et gagner la confiance des clients.

Par où commencer et comment finir

Pour certains ateliers, démanteler tous les véhicules pour chaque dossiers et commencer à jouer aux détectives pour faire des estimations peut sembler une tâche insurmontable. Les gestionnaires d’atelier ne savent pas par où commencer. Comment trouveront-ils l’espace et le temps pour penser à faire tout cela ?

Cependant, mener une investigation est exactement le travail de l’estimateur. S’attarder à ce processus fera de lui un maillon fort de votre chaîne de production, voire un tremplin.

Patrick Piché explique : « Une étape facile pour commencer est d’avoir un processus d’estimation clair. Ça peut être simplement de déterminer que l’estimation d’une voiture se fait de l’arrière à l’avant. On peut choisir la façon dont les dommages antécédents sont documentés et communiqués aux clients, quand documenter les processus du manufacturier dans une estimation, comment établir un processus de revue de l’estimation par un pair et finalement, se donner une directive pour savoir si et quand on démantèle véhicule. Il s’agit de commencer par de petites étapes simples. Le but est de s’améliorer progressivement et de bien maîtriser chaque étape.

Plus vite on identifie une pièce à remplacer, moins de temps on se débattra avec plus tard, ne serait-ce que pour l’annoncer à l’assureur. Celui-ci sera beaucoup plus enclin à accepter facilement des réparations et des pièces décelées à l’estimation initiale. En cas de suppléments, on devra prendre du temps pour convaincre l’assureur pour en arriver au même résultat et on risque de perdre quelques plumes en route. »

Patrick continue : « Investir du temps pour l’estimation, l’achat et la préparation de pièces, c’est garant d’une réparation qui se passera bien et qui contribuera à la productivité de l’atelier. Souvent, nous sommes réticents à utiliser un technicien expérimenté pour aider l’estimateur, soit pour l’appuyer pendant l’estimation ou tout simplement le contrevérifier. Mais, profiter de l’expérience et de la sagesse de nos vétérans s’avère payant pour la réparation à venir. C’est un bon investissement. Tant qu’à faire perdre du temps au technicien et le faire courir comme une “poule pas de tête” à chercher des pièces manquantes, autant l’investir dans une action qui bénéficie l’atelier. »

Parfois, les ateliers ne savent tout simplement pas où faire une estimation en profondeur. Ils n’ont pas de baies d’estimation et les baies de réparation sont occupées. Ça prend un peu de créativité et de discipline. Créer un calendrier qui prendra en compte la baie de lavage et vos baies d’estimation et le mettre à la vue de tous peut être une avenue simple pour traiter les différents types de réparation. Vous pouvez commencer par les réparations de sévérité moyenne et plus. Le but est de commencer quelque part et d’observer les avantages d’incorporer cette meilleure pratique dans votre processus de production.

Charles nous met en garde : « Quand on essaie un nouveau processus, c’est important de lui donner le temps de générer des résultats. Essayer de démanteler les véhicules pendant deux jours pendant que vos techniciens “chialent” sans cesse que l’estimation est incomplète est un peu normal. Vos premières réparations estimées avec le nouveau processus commenceront dans quelques semaines et vos résultats financiers parleront d’eux-mêmes des mois plus tard. Il faut donner le temps au temps et ne pas jeter l’éponge trop vite. »

Les infâmes estimations photo

Les estimations photo créent bien des défis aux ateliers. C’est une tendance grandissante et de toute évidence, personne ne les maîtrise encore à la perfection. C’est un sujet passionnant auquel nous consacrerons un prochain article.

Mais, au bénéfice de cet article, sachez que l’une des meilleures pratiques développées par un de nos clients qui avait un budget modeste à accorder à ses outils logiciels a été de donner accès à ProgiSync à son commis aux pièces afin que ce dernier puisse valider le choix des pièces selon l’estimation et les photos. Cela lui permet de vérifier, par exemple, si le bon type de phare a été saisi à l’estimation. Il pourra ainsi corriger l’estimation et commander la bonne pièce. C’est un exemple d’un processus simple à incorporer dans votre stratégie d’estimation des dommages.

Plus qu’un simple processus de réparation, une façon de se démarquer

Patrick Piché conclut : « Le travail est tout simplement plus harmonieux, plus “lean”. Les techniciens finissent ce qu’ils commencent et c’est très payant en ce qui concerne la qualité de vie au travail.

Quand un technicien commence sa journée avec ses chariots de pièces prêts et qu’il est sûr qu’il a tout ce dont il a besoin pour effectuer sa réparation, c’est bon pour son moral et la fierté qu’il accorde à son travail.

En pénurie de main-d’œuvre, quand vous faites visiter l’atelier à un nouveau technicien, ça vaut son pesant d’or, tant pour attirer la main-d’œuvre que pour la retenir. Ce n’est pas drôle pour le technicien de commencer une réparation pour l’interrompre à cause d’un imprévu, de déplacer la voiture de sa baie de réparation et de mettre le travail en attente.

Ce n’est pas plus drôle pour le propriétaire. Son coût d’opportunité à manipuler le véhicule au lieu de le réparer est du temps mal investi. Idéalement, on veut que nos techniciens passent la majeure partie du temps à faire ce qui leur donne une valeur ajoutée, mais aussi ce qu’ils aiment, c’est-à-dire réparer un véhicule. »

En conclusion, parlons hockey

Prenons l’exemple d’une partie de hockey. Une partie se joue généralement en trois périodes de 20 minutes. C’est ce que la caméra nous montre. Mais pour avoir une bonne saison et aller chercher la coupe, les joueurs doivent travailler pas mal plus que ce qu’on voit à la télé.

Après chaque partie, ils se remettent question, ils font des ajustements, ils étudient l’adversaire.

On peut faire le parallèle avec la production. La réparation c’est juste la partie de hockey. Si on n’investit pas de temps avant et après nos réparations afin de remporter des victoires, notre saison de collision risque de faire pitié, ou de rapporter beaucoup moins que notre réel potentiel.

Rédaction : Alexandre Rocheleau
Collaboration : Charles Aubry, Patrick Piché
Révision : Sophie Larocque
Édition : Émilie Blanchette