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Plusieurs cordes à son arc en atelier de carrosserie : le cross-training selon Timothee Loehn

2 people in a training situation at a collision shop

Mise en situation :

Vous avez un petit atelier de carrosserie et une belle équipe formée d’une dizaine d’employés compétents et enthousiastes. L’atelier tourne, les affaires roulent, le travail ne manque pas.

Tout se passe relativement bien… jusqu’au jour où une tuile vous tombe sur la tête. Vous apprenez que votre seul peintre se fracture un poignet dans un accident de vélo et doit s’absenter pour plusieurs semaines.

Que faites-vous?

Dans le contexte actuel de pénurie de main-d’œuvre, trouver et engager un remplaçant de qualité dans un délai raisonnable est loin d’être simple. Et vous ne pouvez tout de même pas mettre votre atelier sur pause pendant deux semaines!

En fait, mieux vaut prévenir que guérir. Avec le bon plan en place, vous pouvez éviter de vous retrouver dans une telle impasse.

Nous nous sommes entretenus avec Timothee Loehn qui, pour répondre à ces défis, a introduit avec succès le cross-training dans son atelier.

Depuis maintenant un an, Timothee est directeur régional chez AutoCanada, un groupe qui compte désormais plus de 80 concessionnaires franchisés et représente 28 marques d’un océan à l’autre du Canada, ainsi qu’en Illinois, aux États-Unis. Timothee supervise huit ateliers de carrosserie dans l’Est du Canada; quatre autres ateliers s’ajouteront à ses responsabilités cette année.

Auparavant, il a été, pendant six ans, gestionnaire d’un atelier Mercedes-Benz sur la Rive-Sud de Montréal. À son arrivée, une équipe est déjà en place. Timothee apporte plusieurs changements (notamment sur le plan des partenaires-assureurs et des sources de revenus), mais il est bientôt confronté au manque de personnel et de talents dans l’industrie. Dans la mesure où les ateliers de carrosserie comptent souvent sur de petites équipes, ils se retrouvent constamment dans une situation précaire, une seule absence pouvant déstabiliser toute la ligne de production. C’est d’ailleurs ce qui finit par se produire lorsque son peintre part en vacances pour une semaine.

Dès lors, Timothee réalise la nécessité d’avoir une équipe multifonctionnelle pour avoir une entreprise qui performe de manière stable et constante. Son objectif est donc de faire en sorte que chaque employé devienne en mesure d’occuper plusieurs fonctions différentes dans l’atelier.

Comment s’y est-il pris ? «Pour les générations d’aujourd’hui, nous dit-il, la meilleure façon de créer un engagement au travail, c’est d’offrir une possibilité de croissance». Dans cet esprit, lorsque son peintre est parti en vacances, il a proposé à un préparateur, qui avait déjà montré certaines aptitudes, d’amener son jeu à un autre niveau. En partenariat avec Axalta, il lui offre une formation sur place, supervisée par un représentant de la compagnie de peinture. Bien entendu, ce peintre nouvellement formé ne sera pas aussi performant qu’un peintre plus expérimenté, mais, ajoute Timothee, «un bon plan aujourd’hui est meilleur qu’un plan parfait demain». Il est préférable, précise-t-il, de ralentir la cadence, mais de maintenir la constance dans le roulement de l’entreprise, plutôt que d’essayer de pousser la machine au maximum sans avoir le personnel.

Grâce à cette manière de procéder, dans un contexte où il est parfois difficile pour un atelier d’avoir ne serait-ce qu’un seul peintre sous la main, la carrosserie de Timothee a trois personnes pouvant remplir ce rôle. Il en va de même des personnes affectées à la carrosserie, au remontage, à la préparation, à la mécanique, à la finition, etc. En répartissant divers rôles parmi les membres de l’équipe, il devient alors beaucoup plus simple et efficace de réorganiser les tâches et poursuivre le travail en cas d’absences. Cela permet aussi d’implanter un système de rotation, afin que chacun des employés reste efficace dans ses différents rôles.

Ce principe ne se limite pas au travail dans l’atelier : les personnes affectées à l’administration, aux liaisons ou encore à l’estimation peuvent également être formées pour se remplacer l’une et l’autre au besoin.

Dans l’atelier Mercedes-Benz, la personne affectée au lavage prend également des notes d’estimation avant même l’arrivée de l’estimateur. Suite au parcours de l’estimateur, ils comparent leurs notes et confirment ensemble l’estimation. C’est une autre forme de pédagogie sur le terrain que l’on peut adopter.

Avec ces pratiques, l’atelier de Timothee est devenu l’un des plus performants. Évidemment, il faut payer les employés nouvellement formés à leur juste valeur, mais c’est un investissement dont toute l’entreprise pourra bénéficier, et ce, à plusieurs niveaux. On l’a vu, la plus grande flexibilité apportée par le cross-training facilite la planification des travaux. Avec leurs responsabilités accrues, les employés se sentent valorisés et engagés dans le succès de l’entreprise. Selon Timothee, «le fait que leurs talents soient reconnus crée une culture de performance, qui pousse chaque personne à maximiser son efficacité». C’est aussi une culture fondée sur le travail d’équipe et la complémentarité entre les membres du personnel.

Une autre retombée importante du cross-training est que chaque employé, en occupant différents rôles, devient plus conscient de ce qu’il offre au prochain département dans la ligne de production. Le partage des tâches permet ainsi de développer naturellement une certaine forme de contrôle de la qualité et d’amélioration en continu dans la culture d’entreprise. On dit parfois qu’une chaîne est aussi solide que son maillon le plus faible. Avec le cross-training, on s’assure de solidifier chaque maillon de la chaîne et de la rendre presque impossible à briser.

Enfin, sur le plan de la planification, une équipe multifonctionnelle permet de mieux affronter les goulots d’étranglement. Par exemple, si le peintre est présent, mais qu’une situation se présente où un second peintre serait utile, la flexibilité du personnel permettra de gagner beaucoup de temps et de maintenir le rythme de production. De même, explique Timothee, la mécanique est souvent sous-traitée à l’externe quand il y a un goulot d’étranglement à ce niveau, mais des débosseleurs formés en mécanique représentent une solution à l’interne plus économique, puisqu’ils pourront faire sur place les travaux mécaniques de base.

Dans son rôle de superviseur chez AutoCanada, Timothee souhaite travailler avec les directeurs d’ateliers afin de leur faire voir la valeur pour leur entreprise de former leurs employés à accomplir plusieurs tâches.

Il est souvent beaucoup plus facile de trouver, dans son propre atelier, des personnes qui souhaitent développer leur carrière et acquérir de nouvelles compétences, plutôt que de chercher à recruter du personnel qualifié à l’externe. Timothee nous rappelle que les techniciens en atelier sont des travailleurs manuels extrêmement compétents et qui ont beaucoup de potentiel pour se diversifier.

De manière générale, si vous implantez le cross-training chez vous, vous devriez idéalement commencer par former un préparateur pour qu’il puisse remplacer le peintre, car la chambre à peinture, selon Timothee, est «le poumon de l’atelier».

Mais il n’y a pas une seule recette, chaque atelier ayant sa propre identité, sa propre configuration, ses dynamiques et ses enjeux spécifiques. La répartition des rôles doit donc chaque fois être repensée en fonction du personnel en place et des besoins de l’entreprise. Mais il est certain que de maximiser les occasions de cross-training avec votre équipe est un investissement intelligent, qui vous fera gagner en flexibilité, en polyvalence et, par le fait même, en profitabilité.

Rédaction : Nelson Guilbert
Collaboration : Timothee Loehn, Charles Aubry et Alexandre Rocheleau
Révision : Sophie Larocque
Édition : Émilie Blanchette